Enseigner le chinois, l’art et les gestes
Connaissez-vous cette sensation étrange en lisant un livre que l’on pourrait qualifier de technique, de survoler le sujet en entrant dans le détail ?
C’est un peu la sensation perçue en se plongeant dans les 2 ouvrages « Les gestes du chinois » et « l’art d’enseigner le chinois » de Jean François Billeter.
Une prouesse
Ceci n’est pas une critique négative bien au contraire. Car là est la prouesse de pénétrer un sujet aussi complexe que le chinois autrement dit le mandarin de façon concise, mais précise.
La deuxième de couverture est claire :
« Ils s’adressent à plusieurs catégories de lecteurs : à ceux qui apprennent cette langue et l’apprendront mieux ; à ceux qui l’enseignent, et l’enseigneront mieux ; à ceux qui, sans l’apprendre ni l’enseigner, désirent s’en faire une idée, par goût des langues ; enfin à ceux qui s’interrogent sur le phénomène extraordinaire qu’est le langage humain. »
On pourrait aussi en voyant l’épaisseur des deux volumes, qui à eux deux ne dépassent pas les 150 pages, penser qu’on n’en saura pas plus à la fin. Que c’est trop court pour être parfait ou que l’on va être déçu !
Et là surprise !
Surprise, mais à moitié si l’on connaît l’auteur, on découvre de façon explicite et écrite la matrice de cette langue grâce à l’auteur.
L’auteur
En effet Jean François Billeter est un sinologue réputé et d’expérience qui nous transmet dans ces deux petits volumes l’essence même de ce qu’est le chinois mandarin.
Pourquoi je parle d’essence ?
Il offre les clés de bases pour rentrer au cœur du fonctionnement de la langue chinoise standard pu tong hua.
Pour découvrire d’autres ouvrages ou l’auteur, vous pouvez consulter les articles suivant:
Chine trois fois muette
Réflexion d’un sinologue, Pourquoi l’europe?
De mon experience quand j’ai débuté cet langue.
Je connais bien le chinois,
je l’ai d’abord expérimenté seul sans base directement en immersion en Chine donc je l’ai vécu comme un enfant qui découvre le parler.
J’ai également étudié le chinois, puis je le pratique encore tous les jours et cela depuis 15 ans.
Je ne suis donc plus un débutant et pourtant j’ai enfin pu mettre des mots sur des ressentis perçus depuis longtemps vis-à-vis du chinois.
Il exprime se que j’ai toujours su, mais ne parvenais pas à décrire.
J’ai vraiment eu cette sensation sur place, à mon arrivée.
Pour ma part j’ai d’abord appris le chinois par mimétisme et par intuition comme pourrait le faire un petit enfant, car je n’ai pas suivi de cours théorique dans un premier temps, mais j’ai réellement vécu cette langue comme un bébé qui nait.
Comme un enfant j’étais perdu au milieu de sons et de signes complètement inconnu.
Je me retrouvais démuni et sans moyen de faire un quel qu’onques rapprochement avec quoique ce soit comme langage.
J’étais comme l’enfant qui vient au monde. J’ai malgré tout suivi des cours avec des professeurs chinois sur place durant cette même première année. Ils étaient plus des guides que des professeurs pour moi.
J’ai découvert plus tard la version théorique qui organise le mandarin comme une langue occidentale, avec sujet, verbe, complément, adjectif… voix passive, etc. Et ce fut un frein qui m’a plutôt désorienté qu’aidé dans un premier temps. Car je n’avais pas vécu la langue sous son aspect technique, mais j’avais vécu la langue de façon vivante.
Les gestes du chinois
Là ou je veux en venir
Et oui, c’est là où je veux en venir, Jean François Billeter, balais l’idée qu’il faille coute que coute superposer la construction des langues occidentales sur celles du chinois. Le livre « Les gestes du chinois » met en lumière l’aspect vivant de cette langue.
En mandarin, l’oral et l’écrit n’ont comme lien que l’interprétation, bien loin de nos langues latines qui reposent sur une logique grammaticale avant toute interprétation. Notre vision de la langue est figée la leur est en mouvement perpétuel, c’est l’interprétation.
Le livre développe ce sujet avec des exemples concrets qui serve de base à cette théorie plus juste. Le livre s’intitule « gestes du chinois » pour la même raison, le geste est un mouvement, un changement.
La phrase chinoise est ce geste oral en mouvement qu’il classe en 5 gestes. Le geste thématique, le geste qualifiant/qualifié, le geste verbe/objet, le geste de l’enchainement, le geste du verbe composé.
J’en reviens à cette deuxième de couverture pour noter le fait qu’il importe peu que l’on soit novice, amateur ou confirmer ce livre apporte un autre éclairage sur la compréhension de la langue. Bien sûr je conseille la lecture de ce livre aux personnes plutôt sensibles à propos des connaissances liées à la langue chinoise. Mais c’est aussi un regard différent porté sur le fonctionnement d’une langue qui nous est totalement inconnu. Si la curiosité est vectrice de votre connaissance, n’hésitez pas à lire cet ensemble de 2 livres.
L’art d’enseigner le chinois
Si c’est la structure de la langue qui est évoquée dans « Les gestes du chinois », c’est la structure de l’esprit avec lequel on appréhende le mandarin qui est mis en avant dans « L’art “d’enseigner le chinois”.
Au travers de son expérience Jean François Billeter ainsi que son épouse Cui Wen on put analyser et mettre en place une méthode qui permet de saisir l’esprit du langage chinois. Au début de l’enseignement universitaire du chinois en Europe, à Genève il a fallu tout créer et avait tôt fait de constater qu’il était difficile de calquer notre structure linguistique sur celle du mandarin.
C’est donc par l’expérimentation qu’ils mirent lui et son épouse en place l’idée “t’intégration” par l’oral instinctif. Il y a alors une sorte de mimétisme semblable à ce qu’une mère transmet à son enfant ; cet enfant qui lui-même cherchant à communiquer avec elle intègre instinctivement les bonnes tournures sans avoir recours à la logique grammaticale.
Grammaire chinoise !
La logique grammaticale vient par la suite pour ne pas polluer la perception sensible du langage. Il met donc en avant, dans ce deuxième livre “L’art d’enseigner le chinois” les biais d’apprentissage du chinois que l’on peut subir dans le milieu de l’enseignement traditionnel des langues à l’occidentale.
Ce qui est évoqué en filigrane dans ce tome c’est que le mandarin ne s’est pas construit autour d’une logique grammaticale. Croire en la grammaire du chinois pour intégrer la langue et en cerner rapidement son essence est une erreur selon l’auteur comme pour moi. Mes plus gros progrès ne se sont pas faits en classe, mais plutôt dans la rue avec le “pékin moyen” si je puis dire 😊.
L’intuition avant la théorie
Ce n’est pas une méthode traditionnelle qui est transmise dans le livre. En revanche l’auteur nous montre la voie de son cheminement pour aboutir à la solution la plus adéquate pour captiver son audience et la faire progresser de façon naturelle et pérenne. Il explique pourquoi il faut se débarrasser du superflu. C’est aussi en utilisant, pour le chinois, la méthode de Caleb Gattegno à leur manière (méthode fonctionnant à l’aide de petit cube et de couleur différente) que lui et sa femme font progresser rapidement le groupe sans avoir recours à la théorie grammaticale dès le départ.
Si j’avais un dernier mot
Pour conclure on peut dire que ce n’est certes pas une ontologie de la langue chinoise toutefois si je pouvais faire une comparaison je dirais que c’est un flacon d’huile essentielle. Vous n’avez pas la plante dans votre jardin, mais vous pouvez avoir l’extrait d’huile essentielle ! Et bien il y a là, et en quelque sorte, un concentré de ce langage qui permet de pénétrer en son cœur.
Si vous n’avez pas le courage de lire de longs livres fastidieux et complexes, c’est fait pour vous. J’ai adoré, car ce sont deux livres qui vont droit au but. Emprunt de la sensibilité de l’auteur, on comprend pourquoi grâce à une vision simple, il réussit à en extraire la base.
On pourrait comparer “les gestes du chinois” et l’“l’art d’enseigner le chinois” à un Suyu (俗语). C’est à la fois court, mémorisable et tiré d’une expérience. La vérité de ces livres sera acceptée par la majorité !
Pour les personnes intéressées, une interview de Jean-Francois Billeter avec France culture sur YouTube
4 commentaires
Coach de Pilates et bien-être global
J’ai beaucoup apprécié ton histoire d’apprentissage du chinois. Il y a quelque chose de très émotionnel. En étant française, je trouve le chinois très difficile et éloigné des racines latines de ma langue. Quelle langue et culture riche. J’aime beaucoup ta comparaison avec l’huile essentielle. Merci pour cet article très pertinent
Florent C
Merci pour ce commentaire qui me touche !
Benjamin GAUTIER
Merci beaucoup Florent pour ton article, j’ai beaucoup apprécié ta façon d’écrire. Tu laisse transparaitre ton amour de la langue et le plaisir que tu as eu de lire ces livres. Ça fait vraiment envie !
rmibonnet
Le chinois, ça a l’air à la fois compliqué, mais également fascinant 🙂