Pourquoi l’Europe, Réflexion d’un sinologue, de J.F Billeter
Il n’est pas évident de comprendre la chine actuelle. Entrée dans la course à la modernité il y a peu, la chine a toutes ses chances de la gagner.
Quel esprit anime ce peuple, d’où tient-il cette force ? La Chine a aussi ses faiblesses qui ont été mises en évidence au cours des 2 derniers siècles. La colonisation d’une partie de la Chine avec l’arrivée de nouvelle technologie et de nouvelles idées a mis le gouvernement de l’époque face au fait accompli. La Chine n’était plus le centre du monde et sa supériorité culturelle et technologique plus à la pointe.
Pourquoi ce revers de situation d’une civilisation qui a dominé son monde et plus encore de par ses connaissances et sa philosophie ? Comment les Européens ont-ils fait plier la Chine sans la rompre ?
Chine Vs Europe une politique d’origine différente
L’auteur présente ici un essai sur les différences civilisationnelles de fond des deux cultures. Il remonte à la base historique de l’Europe et de la chine pour expliquer ce qui caractérise les deux civilisations. Son titre « Réflexion d’un sinologue » (voir également l’article sur son autre livre, Chine Trois Fois Muette) nous plonge nous-mêmes dans une réflexion sur le devenir des relations que peuvent entretenir l’Europe et la Chine. Pour éviter les malentendus préjudiciables, Jean Billeter nous éclaire afin de mieux cerner l’esprit chinois.
Si pour Malraux « le 21 siècles sera religieux ou ne sera pas » pour J.F Billeter il devra être basé sur « le projet philosophique de l’Europe qui donnera au projet politique son orientation »
L’auteur utilise le ressort historique comme base de sa réflexion. Il fait parfois des parallèles d’époque pour mieux cerner les points charnières qui ont fait évoluer de manière différente nos façons de gérer la vie en société, la vie politique, la façon de gouverner.
La Chine replacé dans son contexte
Pour commencer sa démarche explicative, l’auteur fait une mise au point historique. Il nous replace dans le contexte de la dynastie des Zhou aux alentours de 1050 avant notre ère pour comprendre le départ de cette vision politique. Vision reprise par Confucius quelque 500 ans plus tard et qui sera érigée au rang de tradition philosophique de niveau religieux.
Quelques années plus tard au IVe et IIIe siècle avant notre ère a l’époque des royaumes combattants (zhanguo) et du centralisme politique est né une théorie le légisme (fajia). De là on apprend que le légisme est « la deuxième source de la tradition politique chinoise » qui marque encore la pensée chinoise. Les livres canoniques aux nombres de 5, sont à la Chine ce que l’Ancien Testament est à l’occident. La tradition politique est ensuite développée avec les détails de sa mise en pratique dans l’histoire chinoise. On y découvre également la succession des modèles de pensée comme celui de la cosmologie et la notion Yin et Yang du monde. Le développement de l’auteur s’enchaine avec fluidité et simplicité ce qui nous permet de suivre aisément son raisonnement logique. Un vrai plaisir à lire.
Il continue ainsi en comparant le modèle de création de dynastie et nos périodes de monarchie. Puis l’absence de période moderne pour la Chine.
Pour aboutir à notre époque et au président actuel en faisant un parallèle avec la vision traditionnelle du pouvoir qu’a finalement toujours connu la Chine.
La hiérarchie et l’ordre doivent être respectés, la méthode du légisme ancien est remise à l’ordre du jour avec le contrat social sous forme de point. Si l’obéissance est synonyme de récompense, le désordre est synonyme de punition.
L’Europe
En deuxième partie, J.F Billeter entreprend d’analyser l’Europe. L’Europe ne pourra concurrencer la Chine que si elle avance en étant porteuse d’un idéal commun. Pour cela, l’Europe doit trouver son point de départ commun, fédérateur, qui mettrait chaque nation qui la compose sur le même niveau d’égalité.
Pour lui se moment n’a pas eu lieu. Il incombe au pouvoir politique de le créer sur la base philosophique d’un idéale européen. Actuellement la balance politique penche du coté économique plus que politique et c’est un risque pouvant causer notre perte. Il serait alors possible pour tous les Européens d’avoir cette nouvelle (les origines grecques et latines de l’Europe sont déterminantes pour nos nations, mais pas suffisantes pour nous fédérer) racine commune et contemporaine. Grâce à cette force tirée de ce nouveau départ commun à tous les peuples d’Europe, ils pourraient se battre ensemble pour garder cet idéal fondé sur une vision de la politique et de la démocratie qui lui est propre. Il faut selon lui voir l’Europe comme un grand état peuplé de différentes régions, plutôt que de nation. Chaque peuple européen a un déterminisme régional plus important que national d’où la nécessité de laisser les régions avec leur autonomie tout en effaçant progressivement les limites de la nation état au profit de la nation Europe.
L’évolution de la musique une des marques de l’histoire en Europe
Pour appuyer sa vision, l’auteur utilise la musique et l’étude faite par Ernest Ansermet (chef d’orchestre et musicologue suisse du XX siècle) sur la musicologie pour retracer plusieurs millénaires de pensée. Des Grecs aux Romains, en passant par la renaissance jusqu’a aujourd’hui, il expose sa vision des origines du développement de la pensée philosophique occidentale. Il explique pourquoi selon lui la notion et la recherche de la liberté (qui a créé une loi universelle, celle des droits de l’homme), de la démocratie ainsi que la notion de république sont nées dans la civilisation occidentale et non chinoise. Pourquoi l’Europe qui, si elle n’impose pas sa vision philosophique, doit se prémunir de la méthode confucianiste qui hiérarchise de façon rigide chaque membre de la société et tout contrôlé de façon stricte ? Pour une société où le désordre est une menace pour l’équilibre, il n’y a pas de place pour la liberté et l’égalité qui sont la source selon la tradition chinoise de ce même désordre.
Ce livre, par sa taille, 140 pages, n’est pas un feu d’artifice, mais il est certainement une profusion d’étincelles intellectuelles qui peuvent mettre le feu aux poudres de la réflexion et de l’action.
Pour les personnes intéressées, une interview de Jean-Francois Billeter sur YouTube